土 Dǔ terre / sol / terrain / territoire / terroir / poussière / local / rustique
地 Dì masse / terre / terrain / lieu
公 Gōng public / commun / équitable / mâle / affaires publiques / beau-père (père du conjoint) / duc
Tu Di Gong avec sa canne et sa gourde |
En
dessous des dieux des Murailles et des Fossés, et subordonnés à eux, sont les esprits
/dieux du Lieu, tu Di. Ce sont de
petits dieux chargés chacun d’un territoire plus ou moins grand qui veille à la
façon d'un fonctionnaire sur le bien-être des habitants.. Presque chaque
quartier, chaque rue des villes ou des villages, chaque hameau, en a au moins
un, quelquefois plusieurs ; chaque temple, chaque bâtiment public a le sien.
Celui des Ya Men des fonctionnaires est,
au Sichuan, enterré au milieu du premier pavillon de la salle de justice : on
l’appelle le Dieu du Lieu Enquêteur, et il écoute et enregistre les témoignages
et les jugements, de façon à faire son rapport chaque année sur la conduite
officielle des mandarins. Il y en a pour chaque pont, il y en a pour les champs,
etc.
Les
plus importants sont ceux des villages ; mais, en beaucoup d’endroits, bien
qu’ils n’aient officiellement que le titre de Dieu du Lieu, Tudi, on les
désigne couramment du titre de Dieu des Murailles et des Fossés, Cheng Huang
Shen, et, bien que ce titre soit, étymologiquement, répréhensible, il répond
exactement au rôle du dieu patron du village, qui est le même que celui de
dieux patrons des villes administratives.
Les
dieux du Lieu sont parfois des personnages célèbres : au XIIIe siècle, alors
que la capitale de la dynastie Song
était à Hangzhou, la Grande École officielle
ayant été installée dans la maison qu’avait habitée le général Yue Fei, c’est lui qui y était adoré comme Dieu du Lieu ;
pour la même raison, un grand temple bouddhique de Hu Zhou avait pour Dieu du Lieu un grand écrivain du VIe siècle, Shen Yue. Aujourd’hui (ou du moins il y
a quelques années avant la chute de la dynastie mandchoue), le Dieu du Lieu de l’Académie,
Han Lin yuan, à Pékin, était le
célèbre Han Yu, un des plus grands poètes
de la dynastie des Tang, qui vécut
aux confins du VIIIe et du IXe siècle.
Le
rôle de ces dieux est analogue à celui des dieux des Murailles et des Fossés, mais
ils sont subordonnés à ceux-ci. Ils tiennent le registre de toutes les personnes
de leur circonscription ; c’est pourquoi on va leur annoncer tout décès qui
survient : un groupe de femmes de la famille s’en vont en pleurant, le soir qui
suit la mort, précédées d’un homme qui porte une lanterne, jusqu’à la pagode du
dieu et brûlent de l’encens et du papier d’argent, puis elles reviennent à la
maison toujours en pleurant.
Les
plus importants sont ceux des villages ; mais, en beaucoup d’endroits, bien
qu’ils n’aient officiellement que le titre de Dieu du Lieu, Tudi, on les
désigne couramment du titre de Dieu des
Murailles et des Fossés, Cheng Huang
Shen, et, bien que ce titre soit, étymologiquement, répréhensible, il répond
exactement au rôle du dieu patron du village, qui est le même que celui de
dieux patrons des villes administratives.
Les
dieux du Lieu sont parfois des personnages célèbres : au XIIIe siècle, alors
que la capitale de la dynastie Song
était à Hangzhou, la Grande École officielle
ayant été installée dans la maison qu’avait habitée le général Yue Fei, c’est lui qui y était adoré comme Dieu du Lieu ;
pour la même raison, un grand temple bouddhique de Hu Zhou avait pour Dieu du Lieu un grand écrivain du VIe siècle, Shen Yue. Aujourd’hui (ou du moins il y
a quelques années avant la chute de la dynastie mandchoue), le Dieu du Lieu de l’Académie,
Han Lin yuan, à Pékin, était le
célèbre Han Yu, un des plus grands poètes
de la dynastie des Tang, qui vécut
aux confins du VIIIe et du IXe siècle.
Le
rôle de ces dieux est analogue à celui des dieux
des Murailles et des Fossés, mais ils sont subordonnés à ceux-ci. Ils
tiennent le registre de toutes les personnes de leur circonscription ; c’est
pourquoi on va leur annoncer tout décès qui survient : un groupe de femmes de
la famille s’en vont en pleurant, le soir qui suit la mort, précédées d’un
homme qui porte une lanterne, jusqu’à la pagode du dieu et brûlent de l’encens
et du papier d’argent, puis elles reviennent à la maison toujours en pleurant.
On
peut aussi demander sa protection pour voyager en sécurité et en paix. Il en
existe ainsi autant que de communautés territoriales, certains gouvernant des
lieux non habités tels que des surfaces de culture ou des cimetières. Il est vu
comme un administrateur bienveillant et intègre, d'où son titre officiel de « Dieu juste [garant] du bonheur et de la vertu
» (福德正神, fúdézhēngshén).
Les divers dieux du sol
Le
dieu du sol est la personnification des énergies qui résident dans le sol.
Chaque parcelle de sol a son dieu qui lui appartient en propre ; mais la
division du sol, étant déterminée par les groupements humains qui l’occupent,
varie suivant l’extension de ces groupements ; à ces répartitions diverses du
territoire correspond toute une hiérarchie de dieux du sol.
À la
base est le dieu du sol familial. Il était constitué autrefois par
l’emplacement situé au-dessous d’un orifice qu’on ménageait au milieu de
l’habitation ; cet emplacement s’appelait le tchong lieou, Dieu du lieu. Les caractères qui forment son nom
indiquent d’une part qu’il était au centre, c’est-à-dire qu’il concentrait en
lui toutes les forces inhérentes au sol familial, d’autre part, qu’il était
exposé à la pluie c’est-à-dire qu’il était à ciel ouvert pour permettre à la
terre de participer au mouvement d’échanges qui constitue la vie universelle.
Le tchong lieou était l’une des cinq
divinités familiales auxquelles on rendait un culte dans l’antiquité, les
quatre autres étant : le fourneau dans lequel brûle le feu domestique, le puits
où réside le génie de l’eau, la porte extérieure et les portes intérieures dont
les dieux veillent aux rites de passage qui protègent toute enceinte. De nos
jours, le tchong lieou n’existe plus
sous ce nom ; mais il a son équivalent dans le petit génie local t’ou ti chen auquel chaque famille
sacrifie ; dans les rues de toute cité chinoise, vers le soir, s’allument en
plein air à l’entrée des boutiques les bâtonnets d’encens qui fument devant sa
tablette ; si on l’honore de telle façon c’est que, la terre étant en dernière
analyse l’origine de tous les biens dont l’homme peut jouir, les petits dieux
locaux ont fini par n’être plus considérés que comme des dieux de la prospérité
familiale; on les vénère aujourd’hui, non plus comme des puissances naturistes,
mais comme de bons génies qui font gagner beaucoup d’argent.
Au-dessus
de la famille se trouve le groupe plus étendu appelé le li, terme que nous traduisons par ‘canton’. Chaque canton, comprenant vingt-cinq familles, avait son
dieu du sol ; la population avait l’ordre de lui sacrifier en un jour faste du
second mois du printemps) et, quand avait lieu cette cérémonie, chaque famille
du canton envoyait un de ses membres y assister) ; c’était d’ailleurs un des
hommes du canton, et non un fonctionnaire, qui officiait : Tch’en P’ing, qui mourut en 178 av. J. C., s’était fait une
renommée de justice parce que, « lors du
sacrifice au dieu du sol dans le canton, il avait, étant découpeur, partagé la
viande des victimes très équitablement. »
Le
dieu du sol peut représenter le canton auquel il est affecté ; de là vient la
singulière expression ‘dieu du sol
enregistré’ ; elle désigne le groupe des hommes qui ont été recensés comme
appartenant à un canton déterminé. Nous lisons, par exemple, que le roi de Tch’ou voulut donner à Confucius sept
cents dieux du sol enregistrés ; cela signifie qu’il se proposait de lui
attribuer un territoire comprenant sept cents cantons de vingt-cinq familles
chacun.
Au-dessus
du canton se trouvait, à l’époque des Tcheou,
la division territoriale appelée l’arrondissement
; elle comprenait deux mille cinq cents foyers. Le chef de l’arrondissement
était un fonctionnaire ; à ce titre, il figure dans le Tcheou li qui, au nombre de ses attributions, mentionne celle « de sacrifier au dieu du sol de
l’arrondissement aux (deux) saisons de l’année. »
Ces
textes nous apprennent que, de même que dans l’arrondissement de l’époque des Tcheou, c’était dans la sous-préfecture
que, à l’époque des Han, le sacrifice
au dieu du sol devenait un culte officiel qui se faisait aux frais de l’État ;
pour les dieux du sol cantonaux, il devait être subvenu aux offrandes par les
ressources privées des habitants. En outre, nous voyons par le second de ces
textes que, dans la sous-préfecture, le dieu du sol se doublait d’un acolyte,
le dieu des moissons, qui le complétait ; nous retrouverons ce second
personnage auprès des dieux du sol de rang supérieur ; il n’est d’ailleurs que
leur reflet et n’a pas d’histoire propre ; toutes les fois qu’il apparaît, ses
destinées sont celles mêmes du dieu du sol.
Au-dessus
de l’arrondissement, la dynastie Tcheou
ne reconnaissait que les royaumes féodaux ; plus haut encore, les neuf
provinces. Pour les royaumes féodaux, c’était le fonctionnaire appelé le Siao sseu t’ou qui, au moment où le Fils
du Ciel instituait une principauté, allait y installer un dieu du sol et un
dieu des moissons. Pour chacune des neuf provinces, c’était le ta sseu t’ou qui « y établissait les talus des autels de son dieu du sol et de son dieu
des moissons ; il y plantait un arbre pour être le seigneur des champs, et,
dans chaque province, il se servait pour cela de l’arbre auquel ce pays était
favorable ; c’est du nom de cet arbre qu’on appelait ce dieu du sol et ce pays.
»
Sous
les Han, nous trouvons au-dessus de
la sous-préfecture, la commanderie administrée par un gouverneur. Chaque
commanderie, de même que chaque sous-préfecture, avait son dieu du sol et son dieu des
moissons. En outre, les Han orientaux
instituèrent une division en douze provinces, mais ces provinces n’étaient pas,
comme celles des Tcheou, de
véritables entités territoriales ; chacune d’elles constituait simplement le
ressort dans l’étendue duquel s’exerçait le pouvoir de contrôle d’un
fonctionnaire appelé le punisseur ; ce fonctionnaire représentait en réalité
les délégués militaires de l’antiquité qui venaient inspecter les diverses
parties de l’empire à la tête d’une armée ; or une armée en campagne, comme
nous le verrons plus loin, emportait avec elle son dieu du sol, mais il est
évident qu’elle n’aurait eu que faire d’un dieu des moissons puisque son séjour
dans une région était nécessairement trop bref pour qu’elle pût semer et
moissonner. Ces explications nous permettent de comprendre le passage suivant
du Heou Han chou :
« Dans les commanderies et
dans les sous-préfectures on établit des dieux du sol et des moissons ; c’était
(dans la commanderie) le gouverneur, et (dans la sous-préfecture) le
sous-préfet qui présidaient aux sacrifices ; les victimes qu’on offrait étaient
un mouton et un porc; cependant, dans le territoire administré par un chef de Tcheou
(c’est-à-dire par un des fonctionnaires chargés du pouvoir de contrôle sur
l’une des douze provinces), il y avait un dieu du sol, mais il n’y avait pas de
dieu des moissons ; cela vient de ce que le chef de Tcheou était un délégué
officiel ; or, dans l’antiquité, lorsqu’une armée se mettait en route pour
faire œuvre de pacification, elle emportait bien avec elle la tablette du dieu
du sol, mais elle n’emportait pas le dieu des moissons. »
Si
la Chine de l’époque des Han avait
été semblable à la Chine d’aujourd’hui, il n’y aurait plus eu au-dessus des
gouverneurs de commanderie que l’empereur, maître suprême du monde. Mais les
Han avaient institué une sorte de demi-féodalité en érigeant un certain nombre
de territoires en royaumes qui étaient dévolus, à de rares exceptions près, à
des membres de la famille impériale. Un roi-vassal n’était pas, comme le
gouverneur de commanderie, un simple fonctionnaire révocable à merci ; il
exerçait dans son domaine une quasi-souveraineté et le pouvoir qu’il détenait
était héréditaire. C’est pour cette raison que, tant chez le roi-vassal que
chez le Fils du Ciel, les dieux du sol et des moissons se présentent sous une
forme particulière, forme qui existait d’ailleurs déjà dans la féodalité
complète de l’époque des Tcheou,
lorsque le Fils du Ciel était entouré de toutes parts par des principautés dont
il n’était que le suzerain. Ce que nous allons dire s’applique donc aussi bien
au roi et aux seigneurs des Tcheou qu’à
l’empereur et aux rois-vassaux des Han et des dynasties qui, jusqu’aux T’ang,
adoptèrent le même système que les Han.
Pour
l’époque des Tcheou, nous lisons dans
le chapitre Tsi fa du Li ki :
« Le dieu du sol que le
roi établissait pour le bénéfice de la multitude du peuple se nommait le grand
dieu du sol ; le dieu du sol que le roi établissait pour son bénéfice propre se
nommait le dieu du sol royal. — Le dieu du sol qu’un seigneur établissait pour
le bien du peuple se nommait le dieu du sol régional ; le dieu du sol qu’il établissait
pour son propre bénéfice se nommait le dieu du sol seigneurial. — Quant aux
grands officiers et aux magistrats de grade inférieur, les dieux du sol qu’ils
établissaient dans une communauté organisée se nommaient les dieux du sol
officiels. »
De
ces deux textes, celui du Tsi fa et celui
du Tou touan, il résulte que, tandis
que les dieux du sol cantonaux étaient institués par le peuple, et que les
dieux du sol officiels étaient établis par des fonctionnaires au nom de la
communauté politique qu’ils administraient, les dieux du sol des souverains
tels que le Fils du Ciel ou les seigneurs étaient établis par ceux-ci de leur
autorité propre, et non par une délégation du peuple ; en outre, ces dieux du
sol étaient au nombre de deux pour chaque souverain : l’un d’eux, qui était
appelé le « grand dieu du sol » pour
tout l’empire, ou le « dieu du sol
régional » pour une principauté, avait son autel dans le palais où il
faisait vis-à-vis au temple ancestral ; le second, qui était appelé « dieu du sol royal » ou « impérial » lorsqu’il s’agissait du
Fils du Ciel, et « dieu du sol
seigneurial » lorsqu’il s’agissait d’un seigneur, avait son autel dans le
champ sacré où le souverain pratiquait lui-même la cérémonie du labourage afin
de produire le millet destiné aux offrandes dans le temple ancestral. La
distinction entre ces deux dieux du sol n’est pas très aisée à faire, puisque
l’un et l’autre présidaient en définitive à la même étendue de territoire ; il
semble qu’on puisse l’expliquer de la manière suivante : dans la souveraineté,
il y a deux termes, le prince et le peuple qui sont aussi essentiels l’un que
l’autre ; si on implore le dieu du sol pour le peuple, ce sera sur l’autel du
grand dieu du sol, et, ce qu’on lui demandera, c’est de faire du bien au peuple
en favorisant l’agriculture ; si on invoque le dieu du sol pour le prince, ce
sera sur l’autel du dieu du sol royal ou seigneurial, et, ce qu’on attend de
lui, c’est qu’il assure la prospérité de la. maison régnante en maintenant son
autorité. Le texte cité plus haut du Tou
touan nous donne une indication intéressante en nous apprenant que c’était
ce dieu personnel au souverain, et non le grand dieu du sol, qui était emporté
lors des expéditions militaires pour présider aux châtiments ; le droit de
punir est en effet une manifestation essentielle de l’autorité suprême.
Ce
qui montre bien que le grand dieu du sol avait pour rôle principal de veiller à
l’agriculture, c’est qu’on lui adjoignait le dieu des moissons ; le dieu du sol
personnel au Fils du Ciel n’avait pas besoin de cet acolyte puisqu’il
symbolisait avant tout le prestige redoutable du souverain.
En
résumé, dès les premiers temps historiques, nous trouvons établie toute une
hiérarchie de dieux du sol. Dans l’habitation familiale, l’orifice central,
sans être appelé un dieu du sol, n’en diffère cependant point en nature. Dans
le canton, le dieu du sol cantonal est une divinité au culte de laquelle le
peuple subvient par ses propres moyens. Le dieu du sol familial et le dieu du
sol cantonal sont aujourd’hui devenus les dieux appelés t’ou ti.
Au-dessus
de ces génies tutélaires familiaux et, communaux, il y a la série des dieux du
sol officiels qui se complètent par l’adjonction du dieu des moissons ; ce sont
les fonctionnaires (sous-préfets ou gouverneurs) qui président au culte qu’on leur
rend. Enfin une troisième catégorie dé dieux du sol est formée par les dieux du
sol du Fils du Ciel et des seigneurs ; ces dieux du sol offrent la
particularité de se dédoubler pour s’accorder avec le double aspect de la
souveraineté qui peut être considérée soit du côté du peuple, soit du côté du
prince.
Le Tǔdì lǎoyé (土地老爷) « l'Ancêtre de la Terre » est un
Esprit/Dieu Protecteur d'une parcelle de territoire, une sorte de notable ou de
"Garde-Champêtre Céleste", chargé des intérêts de la portion plus ou
moins grande d'un terrain donné, confié à sa garde. Il ne faut pas le confondre
avec Dàshè (大社) le « Grand Esprit de la Terre », qui a sous
sa seule autorité les sous-préfectures, les préfectures, ou même les provinces.
Les humbles Tǔ Dì Lǎo Yé doivent se
contenter d'une petite section du pays, comme un village, une montagne ou une
simple commune.
Les
Esprits/Dieux Protecteurs que sont les Tǔdì
se divisent en cinq grandes sphères administratives :
-
« les Patrons du Sol » de la Sphère Verte de
l'Est ;
-
« les Patrons du Sol » de la Sphère Rouge du
Sud ;
-
« les Patrons du Sol » de la Sphère Blanche
de l'Ouest ;
-
« les Patrons du Sol » de la Sphère Noire du
Nord ;
-
« les Patrons du Sol » de la Sphère Jaune du
Centre ;
Ces cinq Tǔ Dì appartiennent aux cinq grandes
familles ou branches d'Esprits/Dieux Protecteurs, qui se divisent
l'administration des cinq parties de l'empire, désignées par les cinq couleurs
conventionnelles.
En
face des Tiānshén (天神), les « Esprits/Dieux du Ciel », Shàng Dì (上帝) «
le Seigneur d'En-Haut » et les Wǔ Dì (五帝) « Cinq Seigneurs », il
y a les Tǔ Shén (土神)
« Esprits/Dieux du Sol » : Hòu Tǔ (后土) le
« Souverain Terre », Dà Shè (大社) le « Grand Esprit/Dieu du
Sol Impérial », et ses subordonnés, les Shè (社) «
Esprits/Dieux du Sol Régionaux et Locaux » [autrement dit les Tǔ Dì]. Ces
divinités locales ne sont pas plus la Terre personnifiée que ne l'est Shàng Dì
pour le Ciel : leurs fonctions à tous, même au plus grand d'entre eux, sont
strictement territoriales ; ils gouvernent et protègent un domaine limité, et
ce n'est que parce que le domaine royal en principe s'étend jusqu'aux Quatre
Mers que le Grand Esprit/Dieu du Sol gouverne tout le monde habité, le territoire
Tiān xià (天下) «
au-dessous du Ciel ». Ils sont nettement hiérarchisés, comme les
seigneurs eux-mêmes : dans les principautés, les Dieux du Sol Seigneuriaux,
vassaux du Grand Dieu du Sol, puis sous eux, ceux des Domaines Vassaux, ceux
des Circonscriptions Administratives jusqu'au dernier échelon, les
Esprits/Dieux du Sol de Hameau, constitués pour chaque hameau de vingt-cinq
familles .
Celui
des Yamen des fonctionnaires est, au Sìchuān (四川),
enterré au milieu du premier pavillon de la
Salle de Justice : on l'appelle le « Dieu du Lieu Enquêteur
», et il écoute et enregistre les témoignages
et les jugements de façon à faire son rapport chaque
année sur la conduite officielle des mandarins. Il y en a pour chaque pont, il
y en a pour les champs, etc. Les plus importants sont ceux des villages ; mais
en beaucoup d'endroits, bien qu'ils n'aient officiellement que le titre de «
Dieu du Lieu » [ ou « Dieu du Foyer »], Tǔ Dì, on
les désigne couramment du titre de Chéng
Huáng
(城隍) « Dieu des Murs et des Fossés »,
et bien que ce titre soit, étymologiquement, répréhensible,
il répond exactement au rôle du « Dieu Patron
du Village », qui est le même que celui de « Dieux Patrons des Villes Administratives
».
Le
rôle de ces Esprits/Dieux est analogue à celui des Dieux des Murailles et des Fossés, mais sont subordonnés à ceux-ci.
Ils tiennent le registre de toutes les personnes de leur circonscription ;
c'est pourquoi on va leur annoncer tout décès qui survient.
Tout Esprit/Dieu du Sol était primitivement
un arbre planté sur un tertre au milieu d'un bois sacré. L'arbre changeait
suivant les régions : au Centre c'était un pin, au Nord un acacia, à l'Est
un thuya, à l'Ouest un châtaignier, au Midi un catalpa ; c'est pourquoi on
attribuait aux trois Dynasties anciennes des arbres différents : aux Xia (夏朝), un pin ; aux Yin (殷朝), dont la capitale était à l'Est, un thuya, qui resta l'arbre
du Song (宋朝) ; enfin
aux Zhou (周朝), dont la
première capitale était à Hao, dans l'Ouest, un châtaignier. Il y avait
d'ailleurs moins d'uniformité qu'on ne pourrait le croire : c'était
parfois aussi un chêne, ou un ormeau blanc, en général un grand et vieil arbre.
Le Dieu lui-même était, d'autre part, figuré depuis une époque très ancienne
par une pierre brute dressée au Nord de l'arbre, qui servait de tablette dans
les sacrifices.
Le Dieu du Sol est le continuateur du Dieu
du Sol de l'antiquité. Lui et le Dieu Houji (后稷) « Millet » constituaient les deux divinités les plus
importantes dans les seigneuries [...] Mais le Dieu du Sol de la période
postérieure est un dieu subalterne et populaire [...] Ce nouveau Dieu du Sol
est apparu dès le iiie siècle.
Le Dieu du Sol, le plus bas dans la
hiérarchie du panthéon, est en même temps une des divinités les plus répandues
et les plus familières. On lui attribue même l'apport du bonheur pour la
communauté qu'il protège. Son titre complet est « Divinité Véritable du Bonheur et de la Vertu », comme
s'il donnait l'un en fonction de l'autre. Une de ses charges est, en cas de
décès, de conduire l'âme du mort jusqu'aux portes de l'enfer. Ce qui peut
paraître étrange, c'est qu'on parle du Dieu du Sol, alors qu'il y en a des
milliers, un par lieu. Un "rouleau précieux", genre de balade à thème
religieux, raconte une histoire qui explique ce phénomène :
À l'origine, il y avait un seul Dieu du Sol qui régnait sur toute la terre. Il entra en lutte avec le Ciel. Tel le singe Sūn Wù Kōng, il réussit à vaincre les Généraux Célestes, avec qui il se battait parce qu'on lui avait refusé l'entrée à la Porte Sud du Ciel alors qu'il venait saluer le Bouddha. Son bâton, orné d'une tête de dragon, se révéla une arme aussi redoutable que celle du dieu-singe. Le Bouddha, encore une fois comme pour Sūn Wù Kōng, finit par le soumettre, détruisit son corps en le faisant cuire dans un chaudron, brisa son âme en milliers de parties, qu'il répartit sur toute la terre jusqu'aux régions les plus reculées et donna ainsi naissance à tous ces Dieux Locaux du Sol.
Il y a aussi un Dieu du Sol dans les
régions inhabitées comme les montagnes, et il est alors appelé Shān Shén (山神) « le Dieu de la Montagne ». Il serait apparu pour
dominer un tigre mangeur d'hommes, c'est pourquoi cet animal est parfois
représenté à ses pieds, ou pour soumettre un serpent géant, et c'est pourquoi
on grave souvent un serpent sur sa canne.
Culte
Autrefois, lorsqu'un
ennemi l'emportait sur un autre, il s'emparait de son territoire, mais il
rendait un culte aux mêmes Esprits/Dieux, tout le groupe, mortels comme
immortels, prenait part aux mêmes communions, mais selon la nature de
l'offrande, les formes de la consécration variaient. Après les grandes battues
destinées à fournir «les Ancêtres du
Gibier», le vainqueur était présenté au «Dieu du Sol». Après une guerre victorieuse, les trophées étaient
donnés soit aux Ancêtres, soit au « Dieu
du Sol », car c'étaient là des divinités parentes.
[...] L'Empereur lui devait offrandes de
buffles, de moutons et de porcs, et les féodaux de moutons et de porcs [...].
On va le prier dans toutes les occasions
importantes (mariages, naissances, déménagements, début de l'année, etc.), ou
quand le besoin s'en fait sentir, dans ses temples (土地廟 / 土地庙, tǔdì miào) souvent flanqués d'un
arbre, mais il s'agit parfois de simples oratoires, qui peuvent prendre dans
les cimetières la forme d'une stèle ou d'une tombe (ethnie Hakka). Lorsqu'est
construite une nouvelle maison on casse une motte de terre pour ensuite
sacrifier au dieu du sol. Certains commerçants en placent un dans leur
boutique.
Son anniversaire est fêté deux fois : le 2
du deuxième mois lunaire et le 16 du douzième moi. Pour solliciter sa
protection, les commerçants et les entreprises préparent une table d'offrandes
alimentaires et brûlent du papier-monnaie les 2 et 16 de chaque mois lunaire ( zuoya 做牙 de zuo "faire" et ya « dent »).
À Taïwan, le 16 du douzième mois, les
patrons convient leurs employés à un festin appelé weiya (尾牙), « ultime dent ». Autrefois,
si un employé devait être licencié, les plats comprenaient un poulet ou un
canard entier dont la tête était tournée vers le malchanceux. Cette coutume a
été abandonnée, mais pour éviter tout malentendu, les volailles entières sont
en général absentes du weiya.
Lorsqu'un décès survenait dans une famille,
un groupe de pleureuses se dirigeaient vers l'autel du Dieu du Sol, le soir qui
suivait la mort, précédées d'un homme qui portait une lanterne, et une fois
devant la pagode du Dieu, ils brûlaient de l'encens et de l'argent en papier
(il était courant à l'époque de brûler du faux argent en papier), puis le
cortège regagnait sa maison en continuant de gémir de douleur.
Description
Il est représenté comme un vieillard barbu aux joues roses, signe de bonne santé, vêtu en fonctionnaire de bas grade, parfois accompagné de son épouse, la « vieille dame du sol » (Tudipo 土地婆). Addition postérieure, cette épouse ne reçoit pas directement de culte, ce que certains expliquent par le fait qu'elle serait aussi acariâtre que son mari est bienveillant ; d'autres néanmoins en ont une vision plus positive et comptent sur sa sollicitude.
Tu Di Po |
Tudigong
tient un lingot d'or dans la main droite, symbole de bien-être matériel. Il
chevauche quelquefois un tigre qui chasse à sa demande les démons. Parfois il
s'appuie sur une canne grâce à laquelle il transforme son apparence pour
effectuer des inspections incognito ; dans les cimetières, une gourde, signe
taoïste de longue vie et d'immortalité, peut y être attachée. Dans les plus
grands temples, Tudigong est flanqué
de deux assistants, le « juge civil »
(wenpanguan 文判官) et le « juge militaire » (wupanguan 武判官).
Comme tous les dieux
chinois, les divers dieux du sol sont censés avoir eu une existence humaine, en
général celle d'un fonctionnaire local qui s'est distingué par son intégrité ou
la qualité de son travail. Il existe ainsi une multitude de légendes relatant
leur vie terrestre.
Littérature
C'est dans le roman de Wu Zheng En, le Xī Yóu Jì (西遊記)
que l'on mesure toute la petitesse des Dieux du Sol quand le héros Sūn Wù Kōng pique ses
colères contre eux à chaque fois qu'il visite un hameau, une grotte ou un lieu
quelconque qu'il soupçonne d'être habité par un esprit malfaisant ou des
démons. Il les menace à chaque fois d'un "bon coup de trique" pour
les faire parler. Ceux-ci, tout tremblant, n'osent pas s'interposer et
"crachent très vite le morceau" ; il faut dire que le Dieu-Singe est
en mission pour le Ciel et Bouddha lui-même et personne ne se risquerait à
désobéir à un décret sacré.
Le dieu du sol et les
éclipses de soleil
Il
nous reste à étudier quelles étaient les attributions de ce dieu.
Tout
d’abord, le dieu du sol était adoré parce que le laboureur avait besoin de sa
coopération ; le travail du paysan n’a d’autre but que de stimuler la fécondité
de la terre ; lorsque le semeur répand son grain, il a confiance dans le génie
caché qui le fera germer et multiplier. On adressait donc des prières au dieu
du sol pendant le second mois du printemps pour lui demander de favoriser les
moissons futures, et pendant le second mois de l’automne pour le remercier de
la récolte.
Cependant,
si le dieu du sol ne manifestait que de cette seule façon sa puissance, il ne
se distinguerait en rien de son succédané le dieu des moissons. Pourquoi donc
ces deux dieux coexistent-ils ? Le dieu des moissons exprime l’énergie du dieu
du sol en tant qu’elle est utile à l’homme par la germination et la croissance
des céréales ; mais le dieu du sol ne s’épuise pas dans cet acte ; il exerce
une influence infiniment plus complexe et plus générale, car il est une
personnification du principe yin qui s’oppose au principe yang comme la terre
s’oppose au ciel et l’obscurité à la lumière. Le dieu des moissons n’a qu’une
importance secondaire à côté du dieu du sol qui recèle en lui toutes les forces
cosmiques d’un des deux grands principes constitutifs de l’univers. Le dieu du sol
intervient donc, non seulement dans l’agriculture, mais encore dans certains
cas où le principe yin est en cause ; telles sont, par exemple, les éclipses de
soleil où l’obscurité triomphe de la lumière ; les trop grandes pluies où le
principe yin est en excès, les sécheresses où il est défaillant.
Nous
pouvons comprendre ce que signifiaient ces cérémonies au moyen d’un certain
nombre de textes qui, sans être individuellement aussi explicites que nous
pourrions le désirer, ne laissent pas cependant que de s’éclairer les uns les
autres.
Ainsi,
d’après Ho Hieou, la corde rouge dont
on entourait le dieu du sol était destinée à le lier pour l’empêcher de nuire
et, de même, les tambours qu’on battait étaient le signal de l’attaque qu’on
dirigeait contre lui. Mais il reste à expliquer le rite de l’offrande de la
victime ; voici l’opinion de Ho Hieou
à ce sujet :
« Puisqu’il est dit (dans
le Tch’ouen ts’ieou) d’abord qu’on frappe du tambour et ensuite qu’on immole
une victime, c’est la preuve qu’on commence par adresser des reproches au dieu
du sol en vertu de l’ordre d’un supérieur, et qu’ensuite on l’accueille avec
les rites que doivent employer des sujets et des fils. C’est ainsi qu’on se
conforme (à ce qui est convenable). »
Ces
divers auteurs nous expliquent bien le sens des deux actes rituels auxquels
fait allusion le Tch’ouen ts’ieou :
lorsque une éclipse de soleil se produisait, c’était parce que le principe yin
représenté par la lune s’opposait au principe yang représenté par le soleil ;
or, ici-bas, le principe yin est personnifié dans le dieu du sol. On déclarait
donc la guerre au dieu du sol pour venir au secours du principe yang et pour
obliger le principe yin à lâcher prise : voilà pourquoi on frappait du tambour.
Mais ensuite, on immolait une victime pour apaiser le dieu du sol qui pouvait
être irrité de l’attaque dirigée contre lui.
Les
textes que nous venons de traduire ne se bornent pas à élucider les deux actes
rituels dont il est question dans le Tch’ouen
ts’ieou, à savoir les roulements de tambour et l’offrande de la victime
; ils nous en révèlent un troisième en nous informant qu’on entourait le dieu
du sol d’une corde rouge ; ce rite doit remonter à une haute antiquité puisque
le commentaire de Kong yang[i], qui existait sous
sa forme actuelle dès le second siècle avant notre ère, hésite déjà sur sa
véritable origine et en propose deux interprétations différentes. À vrai dire,
il est aisé de prendre parti entre ces deux interprétations ; celle qui veut
que la corde ait servi de barrière pour empêcher que l’autel du dieu du sol ne
fût foulé aux pieds par mégarde dans l’obscurité, est évidemment rationaliste
et tardive ; elle est d’ailleurs viciée par le fait que, dans les temps les
plus anciens, il semble bien que ce fût l’arbre sacré, et non l’autel, qu’on
entourait d’une corde. Il faut donc préférer, comme l’indique d’ailleurs Ho
Hieou, l’opinion de ceux qui veulent que la corde fût un lien avec lequel on
attachait le dieu du sol pour le mettre hors d’état de mal faire ; on ne se
contentait pas de battre la charge contre lui, on le liait, et la corde dont on
se servait était rouge parce que cette couleur était celle du principe yang
dont on désirait assurer le triomphe.
Les mêmes coutumes subsistaient encore dans la seconde moitié du sixième siècle de notre ère, comme nous l’apprend le texte suivant du Souei chou :
« D’après les règlements des Ts’i (550-577 p.C.), en cas d’éclipse de soleil, on disposait deux trônes impériaux, l’un tourné vers l’est, dans l’aile occidentale du bâtiment du Faîte suprême (t’ai ki tien) ; l’autre, tourné vers l’ouest, dans l’aile orientale de la salle (t’ang). Tous les fonctionnaires revêtaient le costume officiel. Au premier quart d’heure marqué par l’eau de la clepsydre de jour , à l’intérieur du palais et hors du palais tout le monde se met sur ses gardes ; dans les endroits où il y a triple porte, on ferme la porte du milieu ; dans les endroits où il y a simple porte, on pousse celle-ci. Trois quarts d’heure avant l’éclipse, l’empereur revêt le chapeau t’ong t’ien (de la communication avec le ciel) et se rend sur son trône ; il dispose ses gardes comme d’habitude ; mais il n’examine aucune affaire, Quand l’éclipse se produit, on fait entendre le son du tambour ; alors l’empereur quitte le bâtiment principal (tcheng tien) et se rend dans la salle orientale (tong t’ang) ; il se revêt d’un collet blanc et d’une tunique simple ; les ministres qui sont à ses côtés se coiffent d’un bonnet rouge et ceignent l’épée ; ils montent dans le bâtiment pour s’y ranger auprès (de l’empereur). Les divers fonctionnaires se tiennent chacun à leur poste ; portant le bonnet rouge et tenant l’épée en main, ils sortent hors de la porte (de leurs appartements) et restent debout tournés vers le soleil. Les fonctionnaires que cela concerne, chacun d’eux à la tête de ses subordonnés, parcourent ensemble les portes principales et les portes latérales dans l’enceinte du palais ; ils installent des postes de garde auprès de l’autel principal du dieu du sol. Le sous-préfet de Ye, avec ses subordonnés, entoure l’autel du dieu du sol et en surveille les quatre portes ; avec une corde de soie rouge il lie l’autel du dieu du sol en l’entourant de trois tours. Le grand invocateur fait la déclaration par laquelle il adresse des reproches au dieu du sol. Les deux grands astrologues font courir leurs chevaux sur la planchette exposée à plat , puis le chang-chou men-sseu la relève promptement. En outre, on annonce la purification au préfet de la capitale. On bat du tambour de la manière dont on bat du tambour en cas d’alerte. Lorsque le disque brillant du soleil a repris sa forme circulaire, on cesse tout cela. On adresse alors une requête à l’empereur pour que ces préparatifs soient abandonnés.
Le dieu du sol dans les
cas de trop grande pluie ou de sécheresse
« En automne, il y eut de
l’eau en excès ; on battit du tambour et on immola une victime auprès de
l’autel du dieu du sol et auprès de la porte. »
De
même que les éclipses de soleil sont produites par une usurpation du principe
yin sur le principe yang, de même les pluies excessives proviennent d’un abus
de pouvoir du principe yin, et, dans ce cas aussi, on s’en prendra au dieu du
sol qui symbolise ce principe. Nous en avons la preuve dans un passage du Tch’ouen ts’ieou où il est dit, à la date
de 669 av. J.-C. :
Le
commentaire de Tso est muet à ce sujet. Le commentaire de Kong yang déclare qu’il était conforme aux rites de faire ces
cérémonies auprès de l’autel du dieu du sol, mais qu’on n’aurait pas dû les
accomplir auprès de la porte. Ici encore, nous n’avons pas à trancher la
question de légitimité ; le fait existe, il faut l’expliquer. Pour l’autel du
dieu du sol, la solution est toute simple ; il symbolise le principe yin, et,
par conséquent, lorsqu’il abuse de son pouvoir en provoquant des pluies trop
abondantes, on le combat pour le maîtriser, après quoi on l’apaise par une
offrande. Mais pourquoi tient-on le même conduite, à l’égard de la porte ? La
porte principale est l’un des cinq termes compris dans ce qu’on appelait les
cinq sacrifices ; nous avons eu déjà l’occasion de mentionner les cinq
divinités de la maison qui sont : l’orifice central, véritable dieu du sol
familial ; le foyer et le puits qui fournissent ce que l’homme mange et boit ;
la porte principale et les portes secondaires par lesquelles il entre et sort.
Ces cinq divinités qui président aux rapports du maître de maison avec la terre
où il habite, dont il se nourrit et sur laquelle il va et vient, sont des
divinités qui se rattachent au principe de la terre, c’est-à-dire au principe
yin. Or, d’après le chapitre Yue ling du Li ki, les sacrifices qu’on leur
adresse sont fixés aux époques suivantes : au printemps, on sacrifie aux portes
intérieures en été, on sacrifie au foyer ; au milieu de l’année, c’est-à-dire
entre l’été et l’automne, on sacrifie à l’orifice central ; en automne, on
sacrifie à la porte principale de la maison ; en hiver, on sacrifie à l’allée.
Il résulte de ce texte que la divinité de la maison qui était prédominante en
automne était celle de la porte principale ; or, c’est en automne que, en 669
av. J.-C., il y eut des pluies excessives ; il est donc naturel qu’on s’en soit
pris, non seulement au dieu du sol, symbole par excellence du dieu du sol, mais
encore à celle des cinq divinités familiales qui était alors prédominante, à
savoir la divinité de la porte, puis que cette divinité, elle aussi, se rattachait
au principe yin.
Pour
les pluies excessives, comme pour les éclipses, le principe yin devant être
maîtrisé dans la personne du dieu du sol, il ne serait pas surprenant que nous
retrouvions, dans ce cas aussi, le rite de la corde rouge. Tong Tchong-cho6u
nous apprend en effet que, lorsque les pluies sont trop abondantes, on lie le
dieu du sol avec une corde rouge qui en fait dix fois le tour. Cependant cette
pratique ne paraît avoir été adoptée que sous l’influence des écrits de Tong
Tchong-chou lui-même. Elle était peut-être encore en usage sous les Han
postérieurs, mais nous n’en voyons aucune trace à d’autres époques. Nous
croyons donc que, la corde rouge pour lier le dieu du sol remonte à une très
haute antiquité lorsqu’il s’agit des éclipses, mais qu’elle ne s’est introduite
dans les rites relatifs à la pluie qu’à une époque tardive et pour un temps
relativement court.
Dans
le cas où il s’agit, non de trop grandes pluies, mais de sécheresse, le dieu du
sol devra être, non plus réprimé, mais encouragé.
« Depuis le commencement
du printemps jusqu’au commencement de l’été pour finir au commencement de
l’automne, lisons-nous dans le Heou Han chou, si la pluie et l’humidité ont été
en trop petite quantité sur les commanderies et les royaumes, les chefs
d’administration, de commanderies et de sous-préfectures, déblaient en les
balayant leurs autels respectifs des dieux du sol et des moissons. »
Pourquoi
balayait-on ces autels ? C’était évidemment afin d’enlever tout ce qui aurait
pu couvrir leur surface et diminuer par conséquent le déploiement de leur
énergie au moment où celle-ci était indispensable pour lutter contre la
sécheresse.
Le Tch’ouen ts’ieou fan lou nous apprend
que, lorsqu’on priait pour obtenir la pluie au printemps, en été et en automne,
on perçait un trou dans l’autel du dieu du sol cantonal de manière à le mettre
en communication avec la rigole qui était en-dehors du village. En humectant
ainsi le dieu du sol, on voulait sans doute l’inciter à produire lui-même l’eau
dont on avait grand besoin ; le procédé était semblable à celui qui consiste à
souffler ou à siffler pour engager le vent à se donner carrière. En outre,
d’après le même ouvrage, on disposait au hasard sur l’autel du dieu du sol cinq
grenouilles ; les grenouilles, en effet, appellent la pluie par leurs
coassements et leur présence pouvait donc inciter le dieu du sol à faire
pleuvoir.
On
remarquera combien sont différentes les manières de procéder lorsqu’il s’agit
de conjurer une sécheresse ou lorsqu’on se propose de mettre fin à des pluies
incessantes. Dans le premier cas, on demande la pluie en offrant le sacrifice
yu ; dans le second cas, on punit le dieu du sol comme un coupable. Pourquoi
cette humilité d’une part et cette hardiesse de l’autre ? La sécheresse
n’est-elle pas un fléau aussi redoutable que l’humidité persistante ? La
réponse est aisée à comprendre : le principe yang est naturellement supérieur
au principe yin ; quand une sécheresse se produit, on peut prier le principe
yang de se modérer, mais on ne saurait lui faire de reproches, car il
n’outrepasse pas son droit ; mais, lorsqu’il y a des pluies en excès, c’est le
principe yin qui, contrairement à toute justice, empiète sur le domaine du
principe yang ; il convient donc de le réprimander et de le combattre.
Dans
les deux premiers siècles de notre ère, au jour du solstice d’été, lorsque
l’ardeur du soleil était parvenue à son apogée et semblait menacer de tout
embraser,
« on interdisait d’allumer
de grands feux ; on prohibait la fabrication du charbon de bois ; la fonte des
tambours (de métal) et la fusion des minerais étaient entièrement interrompues.
Au début de l’automne, on reprenait l’activité habituelle. »
Ainsi,
l’homme s’interdisait tout usage immodéré du feu au moment où le principe de la
chaleur était à son apogée dans la nature ; il pensait provoquer par ce moyen
l’abaissement de la température dans le monde, C’était l’inverse de notre
coutume d’allumer des feux à la saint Jean pour célébrer le triomphe du soleil ;
tandis que, en Europe, on s’associait à l’ardeur du solstice en agissant comme
elle, en Chine, on cherchait à la combattre en faisant le contraire. Mais il
est évident que, dans l’un et l’autre cas, l’idée reste la même, à savoir que
par des actes semblables à ceux de la nature, l’homme peut influer sur le cours
des choses physiques.
Autre
exemple : Le solstice d’été est l’apogée du principe yang, c’est à dire du feu
; le solstice d’hiver est l’apogée du principe yin, c’est à dire de l’eau. À la
première de ces deux dates, l’élément eau semble mort ; il faut qu’il renaisse
; il en est de même pour l’élément feu à la seconde époque. Afin de faciliter
cette résurrection,
« le jour du solstice d’été, dit
l’histoire des Han postérieurs, on cure les puits pour changer l’eau ; le jour
du solstice d’hiver, on se sert du vilebrequin qui produit le feu par friction
pour changer le feu. »
Ainsi
l’homme apporte une eau nouvelle au moment où il faut que le principe humide
renaisse ; il allume un feu nouveau au moment où le principe igné doit
réapparaître ; par son action, il aide la nature.
Ou
encore : «
Lorsqu’il y a de trop grandes pluies, on interdit aux femmes de se montrer sur
la place publique ; »
Leur
présence en effet encouragerait le principe yin qui est déjà trop puissant.
Pour la raison inverse, lorsqu’on demande la pluie en été, on interdit pendant
cinq jours aux hommes de se montrer sur la place publique.
Les
prescriptions de ce genre étaient extrêmement nombreuses dans l’ancienne
religion chinoise ; elle sont moins fréquentes aujourd’hui ; mais la vieille
croyance qui les motivait est encore présente dans mainte coutume populaire.
C’est ainsi que, pendant les neuf fois neuf jours qui suivent le solstice
d’hiver, si on peint quotidiennement une fleur sur le dessin d’une branche de
prunier portant neuf grappes de neuf fleurs, on favorisera par là l’éclosion et
le développement du principe yang qui s’épanouira dans le printemps au moment
précis où la branche de prunier sera entièrement coloriée. De même, lorsqu’on
bat le bœuf au printemps, on fait entrer dans l’animal symbolique de la culture
des champs toutes les énergies vitales de la branche de saule avec laquelle on
le frappe ; c’est le printemps même qu’on fouette et qu’on excite de la sorte
afin qu’il se hâte de féconder la terre.
Partout
et toujours nous retrouvons donc en Chine l’idée que la nature a besoin d’être
aidée par l’homme. Il n’y a pas lieu de s’en étonner ; les travaux agricoles
sont une coopération avec le ciel et la terre ; un peuple qui s’y adonne depuis
les âges les plus anciens a dû être tout naturellement amené à penser que la
vie de l’homme et celle de la nature étaient en corrélation constante et
qu’elles influaient l’une sur l’autre ; il a dû croire qu’il lui appartenait
d’inciter ou de secourir par des actes appropriés la végétation sur la terre et
les mouvements des astres dans le ciel; en tous pays, les rites agraires n’ont
pas d’autre origine et l’étude de la civilisation chinoise ne fait que
confirmer et compléter sur ce point ce qu’ont dit les sociologues de l’école de
Mannhardt.
Conclusion
: "Cependant, à côté de ces divinités colossales qui éclipsent toutes les
autres par leur éclat, continuent à subsister les antiques dieux du sol et des
moissons et le temple ancestral, témoins des croyances les plus invétérées de
la race. Ils représentent les sentiments primitifs du laboureur qui, dans sa
rude tâche journalière, comptait sur l’appui surnaturel de ses ancêtres comme
un enfant se confie en son père, et qui implorait la clémence du sol natal pour
que des cataclysmes imprévus ne vinssent pas ruiner l’espoir de ses jeunes
moissons. Ce culte local et familial est le substratum le plus profond de la
pensée religieuse en Chine : rien n’est plus près des origines que le dieu du
sol et le temple ancestral."
·
Jacques Pimpaneau, Chine : Mythes et dieux, Arles, Philippe Picquier, , 357 p. (ISBN 2-87730-450-7) 1 vol. : 357 p.
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Wu Cheng'en, La Pérégrination vers l'Ouest : (Xiyou ji), Paris, Gallimard, coll. « La
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Père Henri Doré et Gilles
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chinois), You Feng, 7 vol., tomes VI
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·
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Jacques Garnier, Fengshen Yanyi (封神演義) L'Investiture des dieux, Paris, You
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·
Edouard chavannes : le T'ai Chan essai de
monographie d'un culte chinois : le Dieu du sol dans la chine antique
[i] Le commentaire du Kong- yang jouit d’une grande faveur au temps de l’empereur 0u ; Tong Tchong-chou en était le principal défenseur
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